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MOUEZH BREIZH, LA VOIX DE LA NATION BRETONNE

Cadoudal : l’attentat de la rue Saint Nicaise


Rédigé le Vendredi 17 Mai 2024 à 11:07 | Lu 4 commentaire(s)



in War Raok ! - n° 58 - Août 2020

Cadoudal : l’attentat de la rue Saint Nicaise
Georges Cadoudal, ennemi juré de Napoléon, ne concevait ses combats que dans l’honneur, et non dans la lâcheté d’un attentat. Aussi l’attentat contre le Premier Consul conçu par quatre de ses hommes le fera exploser de colère. Abattre Napoléon, Oui mais en face !

Toute organisation a ses fortes têtes aux initiatives dangereuses, risquant de compromettre les ordres du chef, Cadoudal n’y a pas échappé. En cette journée du 23 décembre 1800, Cadoudal est occupé, dans la lande du Bourdoux, non loin du château de Suscinio, à régler le sort de deux espions du ministre de la Police, Fouché, les sieurs Antoine de Becdelièvre et Ambroise Laisné venus de Paris pour l’empoisonner. Cadoudal informé de leur mission, les a fait arrêter, interroger, le poison est découvert dans la doublure du col de la veste de Becdelièvre. Démasqués, ils ne peuvent plus nier. Magnanime, Cadoudal est disposé à leur pardonner s’ils avouent, mais ils maintiennent leurs négations. Bon ! Puisqu’il en est ainsi, Cadoudal donne l’ordre de les fusiller. Les deux hommes comprennent un peu tard qu’ils sont perdus, leur entêtement à nier les a condamné. Cadoudal reste sourd à leurs supplications : « Trop tard ! Je vous donne un quart d’heure pour recevoir les secours d’un prêtre. Mourez au moins courageusement ! », ils sont immédiatement exécutés. Cadoudal ne prononçait jamais une peine capitale sans preuve et sans y être absolument contraint par les évènements, car il répugnait à pratiquer cette justice expéditive.

Pendant qu’il était occupé avec les deux envoyés de Fouché, un de ses fidèles lieutenants, Robinault de Saint Régent, a conçu un plan pour définitivement éliminer Bonaparte. Ce plan répond au besoin de prouver à Cadoudal qu’il est un homme d’action, car Georges lui a souvent reproché de rêvasser au lieu d’entreprendre et il en a été blessé dans son amour propre : « Ah, c’est ainsi qu’il me juge ! Eh bien, il va voir si je rêvasse ! ». A Paris, Robinault a réuni trois de ses compagnons : Joyaut, De Limoëlan, ancien comme Cadoudal de l’Association des Frères bretons du Marquis de la Rouërie, et Carbon, il leur expose son plan : un attentat contre le Premier Consul. Médusés, les trois hommes lui font remarquer : « Là, nous doutons que Georges soit d’accord ! Ce n’est pas dans ses méthodes ». Réplique agacée de Robinault : « Oui ou non, veux-t-il la chute du petit homme ? Georges avec son esprit chevaleresque se paralyse trop souvent. Ah, je suis un rêveur ! Eh bien, ne lui en déplaise, moi je passe à l’action, dusse y laisser ma tête ». Finalement, malgré les risques, séduit par l’audace de ce plan, Joyaut et Carbon acceptent de rentrer dans le complot. L’action est prévue pour le 24 décembre. Cependant, une dernière objection : De Limoëlan fait remarquer que « Ce jour est celui de la Nativité, donc sacré pour les chrétiens ». Nouvelle réplique de Robinault : « Qu’importe ! Vous oubliez que le 24 décembre de l’année dernière, Bonaparte avait lancé son ordre d’extermination dans le Morbihan ! ». Les rôles sont distribués, le moyen, une « machine infernale » qui consiste en deux tonneaux bourrés de poudre et de mitraille, dissimulée dans une charrette.

Ce 24 décembre 1800, (3 Nivôse de l’An VIII) le Tout-Paris mondain est en effervescence. A l’Opéra de Paris, à l’affiche, l’Oratorio de Haydn « La Création du Monde », la soirée s’annonce exceptionnelle avec un nombre impressionnant de musiciens de qualité. Bonaparte doit, en compagnie de Joséphine de Beauharnais, y assister, personne ne veut rater l’évènement. L’équipage, suivit du carrosse, doit passer par la rue Saint-Nicaise. Il est environ 19 heures trente, le petit commando est en place, chacun sait ce qu’il doit faire. La foule est déjà là, mais chose assez surprenante, pas de service d’ordre conséquent. Robinault peut donc aisément amener sur place la charrette. Comble de l’inconscience, il propose à une fillette de onze ans, à qui il offre douze sous, de maintenir le cheval. L’enfant accepte, Robinault attend encore, s’impatiente de ne point apercevoir le signal, un mouchoir blanc que doit agiter Limoëlan. Personne ne s’inquiète de la présence d’une charrette au milieu de la rue. Robinault attend le signal. Mais de son côté Limoëlan s’impatiente aussi du retard de la voiture consulaire. Vingt heures 10 sonnent à l’Eglise Saint-Germain l’Auxerrois. Soudain des acclamations, l’escorte arrive, suivie du carrosse. Robinault qui attend toujours le signal, n’y tient plus, un grenadier qui n’a pas vu son geste, le bouscule et lui demande de dégager sa charrette. Il n’a que le temps d’allumer avec sa pipe la mèche que cache une bâche. Limoëlan est pris de court et agite trop tard et en vain le mouchoir, la flamme de la mèche incendiaire se consume. Robinault a disparu dans la foule, mais dans son empressement il a oublié la fillette qui tient toujours le cheval par la bride, la condamnant ainsi à une mort atroce. C’est alors la terrible explosion, un carnage : la fillette, le cheval sont déchiquetés, il y a des morts par dizaines, des blessés par centaines, des hurlements partout, près de quarante maisons sont gravement endommagées, flambent, d’autres s’écroulent dans un fracas de pierres, de poussières et de verre. En cette veille de Noël, c’est une vision dantesque. La mort horrible de la fillette est largement exploitée par ceux-là même qui, quelques années plutôt, sous la Terreur, n’hésitaient pas, en Vendée et en Bretagne, à envoyer des enfants à l’échafaud, à les massacrer, à les jeter vivants dans des brasiers, afin « d’éteindre cette race de brigands ».

La voiture consulaire a seulement été bien secouée et toutes ses glaces ont été brisées. César, le cocher, qui parait-il ne conduit vite et bien que lorsqu’il a honoré de bonnes bouteilles de vins et autres alcools, comprenant ce qui se passait, a fouetté avec la dernière énergie ses chevaux, évitant ainsi au carrosse d’être explosé par la machine infernale. Bonaparte qui s’était assoupi pendant le trajet, se réveille en sursaut et s’écrie « Nous sommes minés ! », mais grâce à la promptitude de son cocher, il est sauf.


La colère de Cadoudal, la joie de Fouché

 

Robineault s’est réfugié chez des amis, il est rejoint par Limoëlan qui lui apprend que l’attentat a échoué, que Bonaparte s’en sort sans même une égratignure. Dès qu’il est apparu dans sa loge aux côtés de Joséphine de Beauharnais, elle aussi indemne, l’assistance s’est levée et les a longuement applaudi aux cris de « Vive le Premier Consul ! Mort aux assassins ». Mais, il n’assistera pas à la soirée, le cœur n’y est pas. Du coup, la soirée qui s’annonçait exceptionnelle s’achève devant une salle à moitié vide ; les spectateurs ont eux-mêmes l’esprit ailleurs, ils sont pressés d’aller aux nouvelles et de passer par la rue Saint-Nicaise pour y constater les dégâts. Bonaparte est alors persuadé que c’est un coup des Jacobins, des Septembriseurs. Mais son très efficace ministre de la Police, Fouché, qui a ses antennes partout lui a suggéré que l’affaire pouvait être un coup de ce brigand de Georges. De toute façon, l’occasion est trop belle pour maintenir cette accusation, se débarrasser de ces adversaires, les déporter, trente suspects sont ainsi arrêtés. Quant à Cadoudal devenu l’ennemi public numéro un, et ses complices, il va s’en occuper. Finalement, cet attentat tombe bien pour Fouché qui peut ainsi redoubler de zèle auprès de Bonaparte.

Quand Cadoudal apprend par un messager venu tout exprès de Paris, l’attentat, son échec et les conséquences, et que les instigateurs sont quatre de ces hommes, il entre dans une terrible colère :

- « Quoi ! Saint-Régent (Robinault) a osé faire ça ! Quel imbécile, et naturellement Bonaparte, Fouché, tout Paris sont persuadés que c’est moi qui ait organisé cette effroyable boucherie ! ».

- « Non ! Bonaparte est persuadé que ce sont les Jacobins, encore que Fouché a déjà pensé à vous en attribuer la paternité, et tente de le démontrer. Mais rassurez-vous Georges, aucun des nôtres n’est encore arrêté ».

- « Pour l’instant, mais cela ne saurait tarder tant la Police de Fouché est efficace. C’est insensé ! Quand ils seront pris, c’est assurément l’échafaud qui les attend. Ces trois fous bousculent tous mes plans ! ».

En effet, déjà, sur ordre de Fouché, le Préfet Dubois mène son enquête, des récompenses sont promises à ceux qui donneront des informations et ses limiers sont partout. Bientôt se manifeste l’homme qui a vendu le cheval et la charrette, ainsi que les propriétaires de la remise dans laquelle était cachée la machine infernale. Une description détaillée des trois hommes est donnée, et rapidement les murs de la capitale sont couverts d’affiches donnant le signalement des prétendus forains à qui elle appartenait. Carbon, déjà connu des services de Fouché sous le surnom de « Petit François » est arrêté le premier, il nie d’abord puis donne les noms de ses complices. Robinault est arrêté, tous deux sont guillotinés. Quant à Limoëlan, il réussira à gagner l’Amérique où il se fera… prêtre. Tous les ans, les larmes aux yeux, la veille de Noël, il célébrera une messe pour les victimes de l’attentat, pour Robinault et Carbon, mais le souvenir de l’innocente fillette le hantera toute sa vie. Quant à Joyaut, il parviendra à se faire oublier.

Bien que sachant Cadoudal étranger à l’attentat, Bonaparte va donner des instructions impitoyables pour le traquer ainsi que ses chouans. Pour Cadoudal cet attentat est un désastre, il est accablé. Lui homme d’honneur, être assimilé à un terroriste le blesse profondément. Il en vient même à se demander s’il doit continuer son combat, y entraîner les braves qui l’on suivit depuis tant d’années. Mais le grand chef chouan va se ressaisir, et c’est Bonaparte lui-même qui lui en donnera l’occasion…

Cadoudal va encore durant quatre ans mener son combat contre celui qu’il ne cesse d’appeler « l’Usurpateur ». Finalement arrêté, jugé lors d’un procès où le Tout-Paris va accourir, il est condamné à mort. L’Empereur que l’on appelle désormais Napoléon, qui dans le fond a une réelle admiration pour cet adversaire à l’honneur sans failles, lui propose sa grâce, et même le commandement d’un régiment. Georges refusant la grâce, déclare à l’envoyer de l’Empereur : « Mes camarades m’ont suivi en France. Je les suivrai dans la mort ! ». Quant à la proposition du régiment, il est aussi clair : « C’est une manie chez lui ! Me proposer le commandement d’un régiment, mais ce bougre de petit Corse voudrait m’avilir avant de m’assassiner ! ».

Certains historiens ont avancé que Cadoudal était l’instigateur de l’attentat, car il aurait devant ses hommes évoqué une telle action, et que Robinault n’aurait fait que reprendre à son compte l’idée. Cette accusation sera vite contredite. La personnalité même de Cadoudal, homme d’honneur, d’esprit chevaleresque, ce que lui reprochera Robinault lui interdisait une telle action. Il était un soldat qui combattait l’ennemi en face, il ne faisait pas la guerre avec la peau et le sang des autres, des innocents. Avant d’exiger, comme tous les chefs chouans ou de l’Armée Catholique et Royale de la Vendée militaire, il montrait l’exemple en risquant d’abord sa propre vie, et en assumant ses actes. Même Bonaparte, son ennemi juré le savait, d’où la grande admiration qu’il lui portait, et il ne cachait pas qu’il aurait aimé avoir dans son camp un tel homme. L’intégrité de ce loyal adversaire le changeait des généraux arrivistes et courtisans, ou d’un Fouché fourbe prêt à servir comme Talleyrand n’importe quel maître. Par contre, il est vrai qu’il projeta d’enlever Bonaparte et de le livrer aux Anglais.

Homme d’honneur et de foi, il le prouvera une dernière fois, le 24 juin 1804 sur l’échafaud lorsqu’il demandera au bourreau Sanson « la faveur d’être exécuté le premier pour que ses douze compagnons ne pensent pas, que par une grâce de dernière minute de l’Empereur, il aurait pu leur survivre ». Il prenait ainsi la place qu’il avait toujours voulu avoir devant l’ennemi, la première, à la mort comme au combat…

Youenn Caouissin


Sources :

  • « Vieilles maisons et vieux papiers, le Paris révolutionnaire » de G. Lenotre. Librairie Académique Perrin (1906).
  • « Georges Cadoudal et la chouannerie » par son neveu Georges Cadoudal 1887, réédité en 1971 pour le 2e centenaire de sa naissance (Éditions St Michel-Saint-Cénéré).
  • « La Chouannerie, sur les pas de Cadoudal » de Jean Rieux (Éditions Nature et Bretagne 1976).
  • « Gonéri, le filleul de Cadoudal », de Janig Corlay et Herry Caouissin, où de larges extraits sont empruntés. (Éditions Ololê-Urz Goanag Breiz de 1943 et Éditions Janig Corlay de 1986).



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